Force est de constater qu’apprendre une deuxième langue est encore vu comme difficile, voire impossible par de nombreuses personnes. Trop souvent, de longues et laborieuses années de cours ne sont récompensées que par l’atteinte d’un niveau de maîtrise moyen, voire médiocre. Même dans un contexte professionnel, il n’est pas rare de voir les gens se débrouiller en parlant une espèce d’ « Esperanto » truffé « d’à peu près » grammaticaux et syntaxiques qui laissent parfois les récepteurs du message perplexes sur le sens réel de la communication reçue.
Pourtant, la maîtrise du langage est cruciale pour de nombreuses tâches : vendre, négocier, convaincre, établir une relation… mais aussi tout simplement transmettre une information complète et correcte. Heureusement, cet état de fait n’est pas inéluctable. Il est en effet possible de rehausser le niveau général de connaissance des langues au sein de la population, mais cela passe par certains changements à apporter aux méthodes d’apprentissage des langues.
Dans une société axée sur le plaisir individuel, sur le ludique et la communication, l’idée d’apprendre une langue en parlant est apparue comme allant de soi et a été justifiée par les théoriciens en disant : il faut développer les compétences plutôt que les connaissances.
Dans l’enseignement des langues, tout est maintenant axé sur la pratique de la communication, sous forme de tables de conversation, de stages d’immersion, de livres, documents, plateformes avec des exercices faits exclusivement dans la langue étrangère.
Pourtant, on constate que dans un très grand nombre de cas, la progression s’arrête au niveau d’une communication de base, sans nuances, parasitée par de multiples erreurs. En effet, une fois que les apprenants ont atteint un niveau qui leur permet de (plus ou moins) se faire comprendre, leur progression stagne et ils continuent de faire les mêmes fautes. Par exemple, l’année dernière encore, j’ai pris en charge un garçon de 14 ans qui a fait toutes ses études en classes d’immersion depuis la maternelle. Il n’a pas peur de parler, il a un bon débit mais….il ne conjugue aucun verbe correctement de sorte qu’il faut deviner s’il parle du passé, du présent ou de l’avenir.
Pourquoi la progression s’arrête-t-elle?
Parce qu’ils n’ont pas appris les vraies structures de la langue et pire, ils ont souvent intégré de mauvais réflexes au cours du processus. Pourquoi ? Parce qu’on n’apprend pas juste en parlant. Essayer de maîtriser une langue uniquement en parlant reviendrait à essayer de pratiquer le tennis à un niveau professionnel juste en jouant des matches…
Parler la langue est évidemment nécessaire mais sert principalement à fixer les acquis et à augmenter la confiance en soi et la fluidité car l’attention est concentrée sur « quoi », « que » me dit-on et « que » vais-je dire.
Pour « apprendre » réellement, il faut des exercices durant lesquels l’attention est concentrée sur « comment » faire, donc l’équivalent d’exercices techniques dans un sport physique.
En sport, entre les matches, on fait des exercices techniques : répéter un mouvement particulier pour affiner et développer des réflexes précis, par exemple, au tennis, répéter le service ou le revers jusqu’à ce que le mouvement correct soit intégré, automatisé.
A ce propos, les psycholinguistes Gal’perin et Van Parreren* ont, en effet, déduit de leurs observations que les règles qui gouvernent un processus d’apprentissage, quel qu’il soit, peuvent se résumer comme suit :
Premièrement, une activité cognitive est une action mentale, elle consiste à exécuter une action matérielle raccourcie et intériorisée. Elle ne s’apprend, par conséquent, pas au moyen d’informations mais bien en faisant l’action.
Toujours selon Gal’perin et Van Parreren, une action mentale s’apprend en 5 étapes :
a) la personne qui apprend construit un modèle mental de l’action (soit par tâtonnements, soit à partir d’un plan d’action);
b) l’action est réalisée au niveau matériel avec des choses concrètes, objets ou schémas
c) l’action est réalisée au niveau verbal, l’on dit ce que l’on fait tout haut, sans le soutien d’objets ou de schémas ;
d) l’action est réalisée verbalement mais tout bas;
e) l’action est réalisée sans aucune activité verbale : elle est intériorisée, raccourcie au maximum.
En résumé, acquérir une langue étrangère nécessite 2 types d’exercices :
Un premier type d’exercices pour APPRENDRE, pendant lesquels l’attention est concentrée sur « comment » dois-je faire. Ce premier type d’exercices doit se baser sur un modèle mental (la structure de la langue à apprendre) et a pour but de l’intérioriser, de l’automatiser.
Un second type d’exercices basés sur la communication pour utiliser avec de plus en plus d’aisance ce que l’on connaît, ce que l’on a automatisé, puisque l’attention est concentrée sur « que » me dit-on et « que » vais-je dire.
Les méthodes actuelles d’apprentissage des langues ont tendance à se focaliser sur ce second type d’exercices et à négliger le premier. L’outil manquant dans la foison de matériel disponible aujourd’hui pour pratiquer ce sport intellectuel qu’est l’apprentissage d’une langue est donc la représentation mentale claire de ce qu’il faut faire, la base même du processus d’apprentissage, ainsi que les exercices pour l’automatiser.
La question qui se pose maintenant est donc double :
a. quel modèle mental faut-il donner ?
b. quels exercices vont permettre d’automatiser ce modèle mental ?
Ce qui ralentit l’apprentissage d’une langue étrangère, c’est que les apprenants ont souvent une vue fragmentée des principes qui gouvernent la syntaxe.
En anglais, par exemple, on apprend les temps ou les auxiliaires les uns après les autres sans vision globale de leur utilisation. Cette vision globale est pourtant indispensable pour appliquer les principes étudiés en dehors des exercices de drill.
Un autre facteur dont il faut tenir compte dans l’apprentissage de la structure de la langue est que les apprenants ont déjà des automatismes syntaxiques : ceux de leur langue maternelle, qui resteront toujours sous-jacents. C’est d’ailleurs bien souvent à cause de cela que de mauvais réflexes sont intégrés au cours des exercices basés sur la communication.
Il est donc essentiel d’en tenir compte lors du processus d’apprentissage. Comment ?
En attirant l’attention sur l’énorme tronc commun que possèdent la plupart des langues, mais également en insistant sur ce qui diffère.
En effet, dans beaucoup de cas, les similitudes qui existent entre les langues peuvent faire épargner beaucoup de temps et d’énergie aux apprenants. (Par exemple, expliquer la concordance des temps lors de l’apprentissage de l’anglais peut être facilité en illustrant cela avec les structures du français.) Toutefois, bien que les similitudes puissent faire gagner beaucoup de temps, il est tout aussi important de déconstruire les « mauvais » automatismes syntaxiques, c’est-à-dire ceux qui diffèrent dans la langue maternelle et dans la langue à apprendre (par exemple, l’emploi des temps, des auxiliaires, des questions indirectes en anglais comparé au français,…).
Il est essentiel de noter ici qu’il ne suffit pas d’insister verbalement. Pour accélérer l’apprentissage, il faut toujours s’appuyer sur le double principe : d’abord donner, expliquer un modèle mental, un schéma, puis faire faire l’action mentale de transposer l’idée à exprimer dans la langue étrangère, par exemple : faire dessiner la ligne du temps dans la tête, faire mettre le verbe sur la ligne du temps.
C’est sur base de ce constat qu’il manquait un outil à la panoplie existante que j’ai créé la « Méthode Corbisier ». Le premier travail a d’abord consisté à mettre en évidence la structure de la langue à apprendre. Il s’agissait de schématiser et de rationaliser le plus possible pour donner aux apprenants une vue globale de la structure de la langue. Il est, en effet, crucial de présenter un aperçu global de la structure le plus vite possible de manière à ce qu’ils puissent intégrer les nouvelles connaissances acquises au cours de l’apprentissage de manière optimale, en mettant tout point de détail à sa juste place dans le schéma d’ensemble.
Il faut ensuite imprimer cette structure directement dans l’esprit des apprenants, d’une part en s’appuyant sur l’énorme tronc commun entre les structures de la langue maternelle de l’apprenant et celles de la langue à apprendre, mais aussi en insistant sur les différences. Pour ce faire, je me suis inspirée des techniques utilisées en coaching sportif pour les exercices techniques : faire faire l’action de passer d’une langue à l’autre, driller les apprenants jusqu’à ce que les différents réflexes cognitifs soient intégrés si profondément qu’ils ne doivent plus y penser. L’action est alors devenue automatique et ils peuvent se concentrer totalement sur le contenu du message à délivrer.
En résumé, si utile que soit l’immersion pour apprendre une deuxième langue, cette méthode a ses limites. Elle est très efficace pour surmonter la peur de parler et apprendre à se débrouiller. Arrivé à ce stade, tout comme dans l’apprentissage de la langue maternelle, pour atteindre un niveau langagier permettant de s’exprimer avec nuances et de façon correcte, sans « bricoler » des phrases, il faut apprendre à penser dans la langue étrangère, c’est à dire apprendre à structurer ses phrases comme le font les autochtones. Et cela ne s’apprend pas juste en pratiquant.
La « Méthode Corbisier » a pour but de formater l’esprit pour permettre de penser sur le mode de la langue étrangère. Elle est construite autour de trois grands axes :
1) créer dans l’esprit des apprenants une structure globale de la langue à apprendre,
2) en s’appuyant sur la structure déjà présente: leur langue maternelle.
3) Automatiser le processus de transposition en créant des réflexes par des exercices qui appliquent les principes d’apprentissage définis par les psycholinguistes :
faire faire l’action mentale de passer d’une langue à l’autre
répéter, driller
Il est important de noter que cet outil d’apprentissage ne remplace pas les méthodes basées sur la pratique telles que l’immersion, mais vient les compléter , pour permettre aux apprenants d’acquérir une réelle maîtrise de la langue cible.
* cf. Westhoff, G.J. (1981), Voorspellend Lezen. Een didactische benadering van de leesvaardigheidstraining in het moderne vreemdetalenonderwijs, Groningen : Wolters – Noordhoff.
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